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Cambodia dreams

Tout commence en 1986. Stanley Harper est dans le camp de Site II pour faire un reportage pour la BBC. Il cherche une famille khmère avec laquelle il pourra engager un véritable dialogue qui débouchera sur la compréhension de la situation des réfugiés. Une aiguille dans une meule de foin…Il n’y a pas moins de 280.000 réfugiés et 7 administrations différentes. Il s’agit bien souvent de personnes totalement déstructurées pour lesquelles l’avenir est un bien grand mot et qui sont incapables de réagir.

Après de nombreux essais infructueux, il décide de se rendre à l’hôpital pour rencontrer des soldats récemment blessés à l’hôpital du CICR à Khao I Dang et apporter de leurs nouvelles à leurs familles à Site II. Il s’ensuit des rencontres décevantes jusqu’au jour où il entre en contact avec une famille à laquelle il avait apporté les nouvelles d’un soldat qui venait d’être amputé des deux jambes. Le miracle se produit avec la rencontre de Chheing Yan, une grand-mère et véritable « mère courage » cambodgienne. Chheing Yan est un personnage d’une détermination hors du commun qui refuse le confort factice des camps et qu’anime une humanité rayonnante ; pour elle, cette situation qui a duré 12 ans n’est porteuse d’aucun avenir pour ses petits enfants qui n’auront connu d’autre réalité que celle des camps.

Le film connaîtra un grand succès, mais Stanley Harper refuse les procédés de dramatisation chers à la BBC et explique qu’il avait ressenti la nécessité « de faire quelque chose de vrai ».

De retour à Site II en 1987, avec un petit financement de 5 agences des Nations Unies et du Comité International de la Croix Rouge, Stanley Harper réalise un  film indépendant intitulé « Situation zéro ». Le film connaîtra un grand succès et sera présenté au Smithsonian Institute en 1988, simultanément sur les télévisions nationales de la Thaïlande, du Vietnam et du Cambodge en 1989 et dans 17 pays dans le monde.

L’aventure de Stanley Harper auprès des réfugiés aurait pu s’arrêter là si Yan ne lui avait pas déclaré qu’elle avait une fille au Cambodge, Tha, qui vivait dans un village près de Batdambang. Sur les conseils d’un Kru, Yan avait du se séparer de Tha qui, enfant, était toujours malade.

Film et réalité

Fin 1988, Stanley Harper se rend pour la première fois au Cambodge pour retrouver Tha, ce qui se produira un an plus tard.

L’idée d’un nouveau film a germé. A l’époque (1992) le passage frontière de Aranyprathet n’est ouvert qu’aux convois du Programme Alimentaire Mondial (PAM). Grâce au succès de « Situation Zéro », Stanley Harper obtient les autorisations nécessaires pour franchir la frontière et réaliser son tournage avec des allers-retours entre la Thaïlande et le Cambodge entre octobre 1991 et le début 1992.

Et c’est là qu’une incroyable leçon de réconciliation se produit. Qui dit réconciliation suppose un processus qui s’étale nécessairement dans la durée, condition nécessaire pour en finir avec des préjugés bien enracinés. Le film présente successivement les prises de position de Tha et de son entourage pour qui les réfugiés dans les camps de Thaïlande sont des lâches qui ont tiré profit de la situation et qui jouissent de tous les avantages : habitat, nourriture et soins. Tha sait de quoi elle parle, elle dont l’enfant est décédé faute de moyens pour payer les soins. En tout état de cause, personne ne souhaite alors le retour des réfugiés. De Site II, Yan nous décrit la situation des camps sous un jour bien différent : le camp, c’est la liberté de l’oiseau en cage. Un exemple est frappant ; la médecine moderne est bien présente dans le camp, mais Yan est aussi attachée aux pratiques médicales cambodgiennes traditionnelles qui n’ont là pas lieu d’être. Pour elle, le camp est un lieu de non culture où s’étiolent et disparaissent les traditions qui devraient ponctuer l’existence des Khmers.

Stanley Harper observe et filme des personnages qui, au fil des mois, jouent naturellement leur propre rôle. Le cinéma peut alors accomplir un miracle. Tha et le village rassemblé visionnent « situation zéro » ; Tha reconnaît sa mère et le village entier vit un moment d’émotion intense en comprenant la tragédie des réfugiés. Le mari de Tha fait une lecture de la lettre que Yan a adressée à sa fille qui fond en larmes.

Le 14 février 1992, Stanley Harper va voir Yan à Site II :

–         Vous êtes d’accord pour aller avec nous au Cambodge ?

–         Quand ?

–         Demain.

Le 15 février, c’est le départ et l’arrivée au village de Prek Kroach. Les retrouvailles sont un moment rare d’humanité et de vérité sur lequel le film aurait du s’achever.

Il n’en sera rien. Une partie du financement thaï nécessaire à achever le montage ne sera jamais versé suite au coup d’état de mai 1992. Stanley Harper doit à nouveau rechercher des fonds.

Une lettre de soutien du prince Norodom Sihanouk déclare que le film est capital pour le processus de réconciliation nationale. De façon à peine croyable, Stanley Harper s’entend répondre par les autorités de l’APRONUC, Akashi en tête, qu’il n’y a pas de ligne budgétaire pour la réconciliation,  pas même un dollar. Finalement, grâce à des fonds de la fondation Konrad Adenauer et de DANIDA, le tournage reprend en 1998 et durera deux semaines. En 2000, un film de 5 heures est prêt pour le montage. De nouveau, Stanley Harper entame son parcours du combattant dans l’enfer des lignes budgétaires des Nations Unies, parvient à convaincre les pays donateurs de l’intérêt de son projet et est autorisé à utiliser des fonds du Kampuchea Emergency Trust Fund (KETF) pour finir son film.

En 2001, de passage dans le village, Stanley Harper fait face à un nouveau drame : Monn, la petite fille fille de Yan, qu’on peut voir enfant dans le film en 1991, va mourir du Sida. Son agonie et son incinération seront  filmées en des scènes poignantes comme celle où la grand-mère tient dans un tissu blanc les ossements calcinés de sa petite fille.

Stanley Harper ne pouvait finir son film sur cette image. En août 2002, une naissance vient apporter une conclusion heureuse : Yan est désormais arrière grand-mère.

Cambodia Dreams ne fait pas partie de ces documentaires qui nous expliquent le Cambodge avec la dose de sensationnel requise. Bien au contraire, les personnages  évoluent dans des scènes d’une beauté épique sans aucune contrainte didactique de la caméra.

A ceux qui se posent des questions sur l’humanité khmère, ce film est indispensable.

Jean-Michel Filippi