Une invitation au paradis wahhabite
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- Le 18/06/2019
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Arts et spectacles
Dans son infinie sagesse le prophète avait prévu le danger des perversions futures qui risqueraient de détourner ses ouailles de la seule vérité digne de ce nom. Spectacles et musique devinrent dès lors le lot des infidèles. On n’est pas prophète sans une once d’intuition divinatrice et voilà que dans une des transes épileptiques dont il était coutumier, notre Mahomet aurait trouvé le moyen de prohiber le 7ème art bien plus de 1000 ans avant son invention.
En cette année 1432 de l’hégire, plus prosaïquement le 18 juin 2011, après la prière du vendredi, Une femme d’une cinquantaine d’années s’agenouille au centre d’une place noire de monde. Le bourreau s’approche ; avec une gestuelle d’un professionnalisme consommé il élève son sabre et en un mouvement que les connaisseurs apprécieront tranche impeccablement la tête de l’impie. Coupez !
Il faut bien s’amuser comme on peut. Cette scène a lieu à Riyad, capitale de l’Arabie de la famille du même nom.
C’est une chose de supprimer les divertissements tenus pour marque de l’infamie occidentale, mais pour que de saines relations perdurent entre un pouvoir et ses administrés la vieille règle du pain et des jeux a quelque chose de décidément indécrottable.
L’Arabie Saoudite excelle en divertissements de ce genre et afin que personne ne soit privé du spectacle, le corps sans tête, suspendu à un hélicoptère, a été promené dans toute la ville.
On allait l’oublier ! La figurante principale de la scène, à qui on n’a d’ailleurs pas demandé son avis, s’appelle Ruyati Binti Sapubi. De nationalité indonésienne, elle était domestique dans une famille saoudienne. Soumise à des mauvais traitements de la part de ses employeurs qui la séquestraient, la battaient et l’empêchaient de rentrer dans son pays, elle avait tué la maîtresse de maison dans un mouvement de révolte. Jugée sans avocat, ne comprenant pas l’Arabe, contrainte de signer des documents sans le secours d’un interprète, elle apprendra sa condamnation à mort quelques secondes avant son exécution. Son ambassade ne sera mise au courant des faits que plusieurs jours plus tard.
L’état et son droit
Qu’on se le dise, dans le royaume wahhabite, l’étranger, musulman ou non, n’est pas vraiment un être humain.
L’esclavage a bien été aboli en 1962. Pensez donc, le monde occidental et la plus grande démocratie libérale du monde, soutiens indéfectibles de la famille régnante, ne pouvaient décemment pas admettre que leur protégé se livre officiellement à des pratiques de ce type.
Et pourtant... Les rapports d’organisations humanitaires sont truffés d’exécutions publiques, de séances de flagellation et de détentions arbitraires. Les travailleurs étrangers, l’Arabie Saoudite en abrite 7 millions sur une population de 23 millions, ne jouissent d’aucune protection et n’ont droit ni à un traducteur, ni à un avocat quand ils sont jugés.
Le cas des employées de maison est pour le moins emblématique. La domestique appartient littéralement à son employeur qui s’empresse de lui confisquer son passeport et de la soumettre à des horaires de travail inimaginables : de nombreux témoignages font état de plus de12 heures par jour.
Les abus sexuels sont légion, quoi de plus naturel pour le maître de maison de violer son employée ? Il faut bien se défouler comme on peut dans un pays ou mensonge, hypocrisie et répression absolue tiennent lieu de norme en matière de comportement sexuel. D’ailleurs, l’impunité est quasiment de règle et des rapports accablants démontrent, preuves à l’appui, que les rares plaignantes se retrouvent en situation d’accusées au motif qu’elles auraient provoqué leur employeur, ou qu’elles se seraient livrées à la fornication...
On ressort littéralement groggy de la lecture des centaines de faits qui émaillent les rapports humanitaires, l’inconcevable se rabaissant au niveau du fait divers dans toute sa banalité : un médecin égyptien emprisonné et condamné à la flagellation pour avoir dénoncé le viol de son fils par le proviseur de l’école, le corps d’une Kenyane retrouvée dans le congélateur de ses employeurs, un barbier turc condamné à mort pour avoir évoqué le nom de dieu dans une querelle avec un de ses voisins...
Les Saoudiens ne sont pas à meilleure enseigne. Certes, le droit est censé exister ; un code pénal a bien été fabriqué en 2003 et, aux dires de ses concepteurs, a réuni ce que les droits de la planète avaient à offrir de meilleur. L’ennui est qu’il n’est simplement pas appliqué, un exemple entre tous : il y est stipulé qu’un détenu doit être mis en présence du juge au terme d’un délai maximal de 5 jours et pourtant les rapports abondent qui font état de cas de détention de plus de 10 ans sans que le détenu ait pu rencontrer un magistrat.
La notion de faute et les condamnations qui en résultent évoluent en fonction de la sévérité du moment de la hiérarchie religieuse. Le royaume continue d’appliquer la peine de mort pour le vol, la sorcellerie, l’apostasie, un Egyptien a été décapité en 2007 pour avoir été trouvé en possession d’un Coran dans les toilettes, la consommation ou le trafic de drogue, alors que des quantités non négligeables de cocaïne ont été saisies en France dans un appareil de la flotte privée de la famille régnante en provenance de Colombie. L’homosexualité est sévèrement réprimée par des condamnations fréquentes à des centaines de coups de fouets suivis de plusieurs années d’emprisonnement. Les Oulémas (docteurs de la loi) auront certainement besoin de toute leur casuistique pour expliquer comment distinguer entre l’homosexualité en soi et les pratiques homosexuelles apparemment très répandues.
Le pays s’est même doté d’une commission nationale des droits de l’homme. L’inconvénient est que cela ne pèse pas bien lourd face à la charia, le dernier mot revenant à une bureaucratie religieuse qui jouit en la matière d’un pouvoir quasi absolu sans avoir en pratique de compte à rendre à qui que ce soit.
L’énoncé de cette Commission Nationale des droits de l’homme laisse rêveur, «Protéger les droits humains et les promouvoir dans le respect des principes du droit musulman ». Fort bien, mais qui édicte les règles du droit musulman ? Force est de constater que l’opacité est le maître mot. On a pu s’en rendre compte lorsque le conseil des docteurs de la loi a taxé d’infraction pénale le financement du terrorisme (Fatwah du 12 avril 2010). En pratique, cela en est revenu à doter le juge du pouvoir discrétionnaire de prononcer n’importe quelle peine, peine de mort évidemment comprise.
Les résultats qui ne se sont pas fait attendre ont été dénoncé à l’unanimité : traitements dégradants, usage fréquent de la torture, plusieurs morts en détention, nombreuses condamnations à mort ou, variante humaniste, peines de flagellation de dizaines de milliers de coups de fouet.
Les mauvaises langues sont allées jusqu’à insinuer que, protégé par l’alibi commode du terrorisme, on a allègrement profité de cet arsenal juridique pour faire un sort aux prisonniers d’opinion.
Trop c’est trop ! Fin mai de la même année, le roi Abdallah a fin par prendre la mesure des protestations qui ternissaient l’image du royaume et a mis en place une commission chargée de mettre fin au pouvoir absolu des juges et de codifier les châtiments ; le nombre de coups de fouet devant ainsi être limité à 100.
Vous voyez que la monarchie Wahhabite peut évoluer à condition de ne pas la brusquer. C’est ce qu’on qualifie « d’opposition constructive ». Un bémol cependant, un an plus tard les décisions de la commission n’avaient toujours pas été appliquées.
L’humanité saoudienne
Au fond, puisqu’on en est aux droits de l’homme, on pourrait enfin se poser la question de base de savoir ce qui relève de l’humain en Arabie saoudite.
Comme nous l’avons vu, la plupart des étrangers, pourtant résidents dans le royaume et ayant contribué à sa prospérité, n’entrent évidemment pas dans cette catégorie.
La question des femmes (52 % de la population) ne se pose même pas. Ce qui pourrait ailleurs sembler naturel comme l’éducation, le mariage, le voyage, la justice, l’accès aux soins médicaux... est ici soumis à la bonne volonté du père, du mari ou du frère. En bref, une tutelle légale qui sous-entend que la femme n’est pas majeure. Tout cela peut aller très loin : alors qu’elle avait été victime d’un viol collectif en 2006, une jeune femme a été condamnée à 6 mois de prison et 200 coups de fouet, au motif qu’au moment des faits elle ne se trouvait pas en compagnie de son tuteur légal.
La perversité naturelle de la femme nécessite une surveillance accrue dont s’occupent sans faille les Mutawa’in (police religieuse) qui patrouillent les rues : vérification de la tenue vestimentaire, s’il y a lieu de l’identité de l’homme qui l’accompagne et dans certains cas de la virginité.
Au palmarès des privations de droits dans lesquelles le royaume s’illustre, figurait l’interdiction pour les femmes de conduire. Elles ont finalement été autorisées à prendre le volant à condition d’être âgées de plus de 35 ans, d’avoir l’autorisation de leur tuteur légal et de ne se livrer à cette activité, semi licite pour la hiérarchie religieuse, qu’entre 7 heures et 19 heures.
La liberté religieuse se réduit à l’Islam sunnite. Christianisme et judaïsme sont strictement prohibés. S’il n’est évidemment pas question de lieux de culte, même les cérémonies dans les appartements privés font l’objet d’une interdiction.
Les minorités Chi’ites et ismaéliennes ne sont pas vraiment mieux traités. Les membres de ces communautés sont soumis à une ségrégation qui inclue des brimades constantes et un accès discutable à la justice. A la lecture des rapports d’organisations humanitaires, il apparaît que Chi’ites et ismaéliens battent les records de condamnation, souvent à mort, pour crimes de blasphème. De toute façon, ces gens ne sont que de faux musulmans, la preuve est que l’imam de La Mecque a excommunié les Chi’ites saoudiens.
Il ne reste pas beaucoup de candidats à l’humanité. Le bon male musulman saoudien d’obédience sunnite version wahhabite ? Oui ! Mais à condition d’être bien dans la ligne, de ne jamais remettre en doute les choix du pouvoir, de ne pas constituer d’associations illicites (de toute façon, il n’y a pas de droit d’association), de ne pas avoir de comportement sexuellement déviant (la bureaucratie religieuse se chargeant de définir la déviation), de ne pas perdre de temps dans l’acquisition de vains savoirs tels que la littérature, les sciences sociales, etc... La liste règlerait en fait les faits et gestes les plus élémentaires de la vie quotidienne.
Et quand bien même, le pouvoir n’a qu’une confiance des plus limitée dans son bon peuple, même s’il a fini par lui concéder des élections municipales auxquelles les femmes ne participent évidemment pas (la situation devrait parait-il changer en 2015). Là aussi, la poudre aux yeux étant de règle, on trouvera toujours un « spécialiste » occidental pour s’émerveiller de la portée historique de ce geste. L’ennui c’est que notre Saoudien bien dans la ligne n’a que le droit d’élire la moitié des conseillers municipaux, l’autre moitié étant désignée d’office par le gouvernement. Etrange consultation électorale sans partis politiques et sans droit de rassemblement, il faut d’ailleurs savoir qu’en général les rassemblements sont interdits en Arabie Saoudite.
Et pourtant l’humanité saoudienne existe bel et bien. Elle consiste en la descendance de Abdel Aziz Ibn Saoud, fondateur du pays de même nom. Donner son nom à un pays, c’est une première dans l’histoire de l’humanité. Il s’agit d’à peu près 4000 princes, encore un phénomène oligarchique unique, qui considèrent le pays comme leur propriété personnelle et se sentent libres de disposer de ses ressources et de sa population comme bon leur semble ; en bref, toujours dans le palmarès de l’unicité, un pays transformé en entreprise familiale.
La reconnaissance en passant
Ce conte de fée débute le 14 février 1945. Le président Roosevelt se rendant à Yalta à bord du croiseur « Quincy » signe avec Abdel Aziz Ibn Saoud un pacte d’alliance qui se résumera ultérieurement par la formule « pétrole contre sécurité » et voilà le fond de commerce familial devenu le meilleur ami régional des Etats-Unis.
Il y a des hauts et des bas dans la vie des couples, mais cette union-là, que des mauvais esprits ont beau jeu de taxer de contre nature, ne se démentira jamais même au plus fort des crises qui allaient ponctuer une relation de plus de 60 ans.
De quoi s’agit-il exactement ? Eh bien d’une première dans l’histoire des relations internationales.
L’Arabie Saoudite a besoin d’être protégée de ses voisins arabes. Nos princes qui veulent continuer à jouir tranquillement des richesses nationales ressentent tous les projets politiques régionaux, à l’instar du nationalisme arabe de l’Egypte nassérienne ou du Ba’ath de Michel Aflak, comme des agressions insupportables. Le comble de l’horreur: Nasser n’a que faire de l’Islam, Aflak est chrétien, Akram Haurani est Franc-Maçon. L’ennui est que le discours de ces mécréants commençant à porter, les masses saoudiennes risquaient d’être contaminées par des projets politiques qui se démarquaient très nettement de l’approvisionnement de comptes bancaires privés. Heureusement l’Amérique veillait et la contagion tant redoutée ne s’étendra pas au royaume.
Dans les années qui suivirent, l’Amérique allait prendre un soin particulier de son allié saoudien en lui vendant les armes les plus sophistiquées pour un total estimé à plus de 100 milliards de dollars en 50 ans. En retour l’allié des Etats-Unis a su se montrer d’une compréhension qui a défié toutes les normes : jamais il n’utilisera l’arme du pétrole contre son protecteur et jouera au sein de l’OPEP un rôle modérateur, de plus il contribuera largement à financer les déficits budgétaires américains en affectant à l’achat de bons du trésor des centaines de milliards de Pétrodollars.
Cette amitié aura d’étranges répercussions idéologiques à l’époque où l’Amérique ne voyait aucun inconvénient à utiliser l’intégrisme islamique saoudien pour mener sa croisade contre l’empire du mal en Afghanistan.
Tout devait subitement changer avec les attentats du 11 septembre 2001. On découvre pêle-mêle que 15 membres des commandos suicides sur 19 sont saoudiens, que de nombreuses fondations caritatives saoudiennes sont en fait des officines de financement de Al Qaïda, que l’épouse du prince Bandar, alors ambassadeur du royaume aux Etats-Unis, est à l’origine de mouvements de fonds peu orthodoxes, que Al Qaïda ne diffère pas dans ses fondements idéologiques de l’orthodoxie wahhabite érigée en religion officielle du royaume et que Ben Laden est évidemment issu du sérail.
Cerise sur le gâteau, un discours de Bush fils dénonce 60 ans de complaisance étonnante à l’égard de l’absence des libertés les plus fondamentales dans la région.
60 ans d’un soutien sans faille pour finir par jouer les vierges effarouchées ! La première démocratie du monde libéral découvre avec stupeur qu’elle a été le soutien inconditionnel d’un des pays les plus rétrogrades de la planète, d’un régime d’une férocité notable qui s’est essentiellement ingénié à priver sa population des droits les plus fondamentaux.
Un mauvais moment à passer et l’éclaircie n’allait pas tarder à suivre. Finalement, ces Saoudiens ne sont pas si mauvais et on allait rattraper le tout en leur enseignant les vertus démocratiques.
Autant expliquer au lion les mérites d’un régime végétarien diraient les empêcheurs de tourner en rond.
Eh bien non ! Il suffit d’aller sur le site du Département d’état et on trouvera dans le domaine « Current news » des propos pour le moins édifiants à l’adresse du royaume: «Il faut que vous appreniez à faire confiance à vos sociétés. En vous lançant dans une entreprise de progrès et de justice, l’Amérique sera à vos côtés ». Un grand morceau d’anthologie est la théorie démonologique de Bush fils qui classe les pays du monde arabe en 3 catégories : « l’arc de la réforme, du Maroc à Bahreïn, les pays qui peuvent montrer le chemin, l’Arabie et l’Egypte et les états terroristes, la Syrie et l’Iran ».
Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles et les affaires allaient pouvoir reprendre. Ce sera chose faite, le 13 septembre 2010, à l’annonce du contrat d’armement du siècle : 90 milliards de dollars ! Un ballon d’oxygène pour l’industrie d’armement américaine qui lui permettra de maintenir 75.000 emplois.
A pouvoir absolu, vertu absolue
Le Wahhabisme, source du pouvoir saoudien, a de beaux jours devant lui. Le considérer comme un déchet moyenâgeux est une erreur manifeste ; en matière de totalitarisme, il s’agit d’un des systèmes les plus remarquables que l’imagination humaine ait pu engendrer.
A l’origine (1744) fut un pacte entre la famille Al-Saoud et Abdel Wahhab. La théorie de ce dernier propose une lecture de l’Islam sur la base des écrits des pieux ancêtres (salaf) et le monde qu’il tient pour idéal est celui de la première communauté de Médine et des 4 premiers califes (622 - 661). Dans cette optique, la décadence de l’Islam est due à l’oubli du message coranique originel. Il s’agit d’une lecture de l’Islam au pied de la lettre qui rejette toute approche rationnelle ainsi que toute variation de type culturel. Dans cette optique, les cultes de saints ou la célébration de l’anniversaire du prophète sont strictement interdits. Le message islamique est donc verrouillé et toute possibilité d’évolution tuée dans l’oeuf car évidemment hérétique.
Si la nature du pouvoir ne le prédispose généralement pas à un amour du changement, le pouvoir absolu déteste absolument toute variation de la ligne qu’il a tracée.
On voit par là tout l’intérêt que présente la prédication de Abdel Wahhab pour la famille Al-Saoud : une idéologie religieuse stable et inchangeable. La famille en question s’empressera de mettre en forme un échange de bons procédés : je fais triompher tes idées dans l’ordre temporel en échange du soutien spirituel que tu m’accorderas sans faille.
Le royaume Wahhabite était en germe.
Cette vision de l’Islam, déni le plus élémentaire de la nature humaine, allait imprégner faits et gestes du quotidien des saoudiens. Plus tard, dopée par les pétrodollars, elle allait atteindre le monde musulman dans son intégralité. Dans cet ordre d’idées, il est révélateur de noter l’expression récurrente « résistance au Wahhabisme » à propos de communautés musulmanes peu orthodoxes comme en Asie du Sud Est, par exemple.
Garantie séculière de l’idéologie, la famille Al-Saoud en a tiré son pouvoir temporel et l’a renforcé par son rôle de gardienne des lieux saints.
La famille n’a pas lésiné sur les moyens et, au cours des 20 dernières années, a affecté plus de 2 milliards de dollars à l’entretien de ses 30.000 lieux de culte et de ses 90 universités et facultés de théologie, nouveau record !
Pendant ce temps...
Les singeries de l’existence à l’époque du prophète ou de ses premiers fidèles atteignent des proportions incroyables en ce qu’elles ne concèdent aucune sphère à l’autonomie individuelle : accoutrement, nourriture, rigorisme en matière sexuelle, tout y est codifié à l’extrême. Même le fameux Ibn Saoud, fondateur de l’Arabie « moderne », avait eu toutes les peines du monde à expliquer aux religieux que le téléphone n’était pas un instrument démoniaque, la preuve ultime étant qu’on pouvait y lire le Coran.
Si la vertu extrême est une bien belle chose, la constance dans son exercice s’avère plus malaisée, en tout cas pour la famille royale et ses proches.
Une fois la nuit tombée, la face cachée du Wahhabisme apparaît. Dans de somptueuses villas, l’alcool coule à flot, sans oublier les drogues de toutes sortes et, bien entendu, le sexe. En la matière, les révélations de Wikileaks s’accompagnent du mode d’emploi : « La police religieuse évite les fêtes qui se tiennent en présence ou sous le haut patronage des membres de la famille royale ou des cercles qui lui sont proches ». En traduction, la désobéissance sans risque est le privilège des grands, transgresser les interdits est pour les autres un exercice autrement périlleux.
Avait-on d’ailleurs besoin de Wikileaks ? Il suffit d’une petite promenade nocturne dans les quartiers chauds de Bangkok, par exemple de la rue 1 à 13 en longeant l’avenue Sukhumvit, pour se rendre compte de la saoudisation croissante des lieux.
La vision thaïlandaise du tourisme a bien compris qu’il y avait là une source de devises non négligeable et, de fait, toute la gamme des plaisirs est prévue, du bar où de charmantes hôtesses vous approchent avec la timidité feinte de rigueur au disco où le contact initial est nettement plus charnel. Et pour ceux qui, même en voyage, ne peuvent se dépayser en renonçant à l’idéal de la femme objet, il y a cette invention géniale de la boîte sado maso qui adopte les caractéristiques culturelles, ou supposées telles, de la clientèle. Dans cet ordre d’idées, les petites filles au regard soumis et en uniforme d’écolières qui faisaient les délices des touristes japonais ont tendance à laisser la place à l’idéal physique moyen-oriental nettement plus en chair : petites annonces de recrutement dans journaux thaïs dixit.
Et notre Saoudien dans tout ça ? Eh bien, après quelques verres d’alcool pour tuer l’inhibition, le voilà parfaitement à l’aise en jeans, la chemise largement ouverte pour témoigner de sa virilité.
Une autre spécialité aux résultats autrement plus dramatiques est le voyage matrimonial en pays musulman généralement au Yémen, Maroc, Egypte et Indonésie. Il s’agit d’un mariage à durée limitée dont le but est évidemment la recherche du plaisir avec des jeunes filles vierges qu’on abandonnera souvent enceintes. Les blogs marocains sont particulièrement éloquents, au hasard : « Ils [les Saoudiens] ont le droit de faire ce qu’ils veulent de ces pauvres Berbères...Les saoudiens ont deux grands palais à Agadir dans lesquels on sait tout ce qui se passe...Ils profitent des petites filles mineures de 15 ans. Personne n’en parle, même le parti dit islamiste. C’est vrai que ce parti parle souvent de tourisme sexuel mais cela c’est général, ils n’ont pas le courage de dire franchement les saoudiens ».
En guise d’épilogue
Pile ! Toutes ces méchancetés font l’impasse sur ce qui est réellement en train de changer en Arabie Saoudite. Le roi Abdallah a du certainement avoir été converti par les leçons de démocratie de Bush fils et il faut vraiment être de mauvaise foi pour ignorer la sagesse des propos de ce vénérable monarque suppliant Bashar El Assad d’accepter les principes de bonne gouvernance : « Soit il choisit la sagesse de sa propre volonté, ou bien il plonge dans les profondeurs du chaos et de la déperdition » et d’appeler le tyran syrien à des « réformes rapides et raisonnables ».
Face ! L’hôpital qui se fout de la charité. C’est bien le régime de ce bouffon qui a accueilli Ben Ali déchu, qui a vigoureusement protesté contre le lâchage de Hosni Moubarak par l’Amérique d’Obama et qui a tout mis en place pour empêcher des manifestations similaires en Arabie.
Le pire des cauchemars pour lui serait un triomphe de la démocratie en Syrie. Son opposition à El Assad est hautement justifiée par d’autres motifs bien moins avouables. Derrière « il choisit la sagesse de sa propre volonté », il faut lire l’intention du monarque d’en finir avec le clan Alawite de El Assad et son alliance de fait avec l’Iran. Le but suprême étant bien entendu une Syrie sunnite, variante frères musulmans à défaut de mieux, à laquelle le royaume pourrait enfin distribuer ses largesses dans l’espoir de l’attirer au paradis Wahhabite.
Jean-Michel Filippi